Après plus de 10 ans de bons et loyaux services, Franck Leclerc directeur historique de l’AJPH tire sa révérence. Des années chargées en combats politiques, émotions et anecdotes.
La rencontre avec le handball
Saison 2003-2004… Alors que Montpellier survole le championnat de France de D1, suivi de près par les cristoliens de Thierry Anti, c’est une révolution qui se prépare dans le monde du handball masculin. Une ligue professionnelle est en passe d’être créée.
A cette époque, Franck Leclerc, ancien rugbyman et alors jeune salarié de la FNASS (Fédération Nationale des Associations et Syndicats de Sportifs), vient de terminer une mission auprès du Syndicat National des Basketteurs (SNB). « Je les avais aidés à se structurer, et à s’assurer un avenir financier viable. J’étais prêt pour une nouvelle mission » nous confie-t-il. Il est pourtant loin de s’imaginer que cette nouvelle mission va l’amener à côtoyer de près la petite balle pégueuse pendant plus d’une dizaine d’années.
Pendant ce temps dans les salles de handball, la création de la ligue professionnelle fait parler d’elle. Des bruits de couloirs parviennent jusqu’aux oreilles des joueurs, et certains sentent que leur voix est en passe d’être enfin entendue. Cela tombe bien : les projets de statuts de la future Ligue Nationale de Handball (LNH) prévoient que les joueurs vont dorénavant être représentés par le biais d’un groupement. A l’époque les joueurs Bruno Martini, Olivier Gradel et Pascal Léandri, s’intéressent à ce projet. Marc-Olivier Albertini, arrivant en fin de carrière, se voit proposer la présidence de la future association des joueurs. « On m’a présenté Franck Leclerc en évoquant notamment son investissement dans le développement du syndicat des basketteurs. Nous avons donc commencé à travailler ensemble pour voir comment créer un syndicat, le structurer, rédiger des statuts et organiser la première Assemblée Générale ».
Création de l’AJPH
La première Assemblée Générale se déroule en mai 2004, à l’occasion de la Coupe de la Ligue à Dunkerque, et donne officiellement naissance à l’Association des Joueurs Professionnels de Handball (AJPH). Aux côtés de Marc-Olivier Albertini, Président, sont élus au Bureau directeur : Eric Fruchart, Olivier Gradel, Bruno Martini et Pascal Léandri. Une nouvelle aventure peut alors commencer.
Le premier challenge de l’association est de convaincre les autres joueurs d’adhérer. « Au début, on se cherchait un peu. Il a fallu instaurer les premières visites de clubs pour rencontrer les joueurs, qu’on leur montre que l’on pouvait être crédible pour porter leurs voix » explique Marc-Olivier Albertini. « Franck pouvait s’y rendre seul où nous y allions en binôme. C’est vrai que nous nous sommes beaucoup appuyés sur son expérience ».
Non seulement il a fallu gagner en crédibilité auprès des joueurs mais aussi, et surtout, auprès de l’institution. « Il a parfois fallu passer par la force » raconte Franck. Il se souvient notamment de la première réunion au siège de la LNH à Pontault-Combault : « j’y étais allé accompagné d’Eric Fruchart, Christian Omeyer, Bruno Martini et Pascal Léandri pour taper du poing sur la table. Mais également pour leur faire comprendre que sans les joueurs, rien ne pourrait se faire !». Alain Poncet, président du club de Chambéry, se souvient lui aussi de cette réunion. « Ça s’est plutôt mal passé : ils se sont présentés comme des syndicalistes jusque-boutistes et eux nous considéraient comme de sales patrons. Tout le monde s’est braqué ».
Pourtant, peu à peu, la prise en compte de la voix des joueurs évolue et le dialogue se met en place. « Au début, les clubs ont accepté plutôt facilement que l’on puisse construire avec eux. Ils étaient prêts à nous céder un peu de place pour l’intérêt général du handball. Je me souviens notamment de deux présidents, Nicolas Bernard, (ex président de l’USDK) et Alain Poncet, (président de Chambéry), qui ont été favorables à ce que les joueurs donnent leur avis ».
Avec le temps, les présidents de clubs découvrent en effet le personnage : « Peu à peu, on a appris à connaître Franck. On a senti que l’on avait en face de nous quelqu’un d’intelligent, qui comprenait les problématiques, explique Alain Poncet. Avec Franck il n’y avait jamais de compromis mais souvent des consensus : et ça, c’est appréciable ! C’est comme cela qu’il a su gagner le respect de tout le monde » ajoute le président de Chambéry.
Les premiers combats
Faute de moyens financiers suffisants, Franck n’est cependant toujours pas salarié de l’AJPH. A l’époque, l’une des sources de financement aurait pu être celle des droits TV, mais le sujet divise. « La LNH venait de signer un contrat TV. Selon nous, tout le monde devait percevoir une part des droits TV. Mais ce n’était pas de l’avis des présidents de club » se rappelle Franck. L’AJPH lance alors une opération brassard sur l’un des premiers matchs télévisés. « C’était un Paris Handball – Montpellier. J’y étais allé pour superviser le dispositif. Mais même moi je ne savais pas trop si les joueurs joueraient le jeu. On avait la pression, c’était nos débuts, le président de la ligue était là » explique Franck. « Et, à la sortie des joueurs : tous portaient le brassard ». A partir de ce moment-là, le regard de l’institution a changé. « Ils ont vu que l’on avait réussi à fédérer et que l’on était digne d’être écoutés. Nous ne revendiquions pas grand-chose, juste l’opportunité de prendre part aux discussions ».
Quelques années plus tard, Franck se voit proposer un contrat à mi-temps à l’AJPH et conserve un mi-temps à la FNASS. Lui qui aimait à répéter « moi de toute façon, je n’y connais rien à votre sport », va pourtant peu à peu devenir un visage très familier des joueurs et joueuses de handball. « Son côté très charrieur, brancheur, ça collait bien à l’esprit handball. » raconte Albertini. « Ce n’était pas son sport mais les sportifs se sont vite rendus compte qu’il avait de vraies compétences en juridique et que c’était un gros bosseur ».
En réunion, Franck ose hausser le ton lorsqu’il s’agit de protéger les droits des joueurs et joueuses : son « franc-parler, sa gouaille et son côté grande gueule » ne le font pas passer inaperçu, pas moins que ses chemises « qui font mal aux yeux » en rigole Marc-Olivier Albertini. Mais le travail paie et les choses avancent.
L’acquis social dont Franck est le plus fier ? L’accord collectif de D1 masculine, signé en 2008. « Ça a amené une vraie protection sociale aux joueurs » explique Franck. Alain Poncet se souvient également de cette période : « on peut réellement dire que cet accord a été une co-construction entre les joueurs et nous. Il y a eu des moments difficiles, mais cela a été une expérience très enrichissante ». S’il y a d’ailleurs une anecdote dont beaucoup se souviennent au sujet de Franck, c’est bien celle de la signature de l’accord collectif de D1. Et c’est Marc Olivier Albertini qui nous la raconte: « quand on a signé l’accord, ça s’est fait à la Toussuire, le même weekend que la Coupe de la Ligue à Albertville en 2008. Il faisait froid, à l’époque la Coupe de la Ligue était en février. Nous étions dans un restaurant avec des représentants des clubs, il y avait des joueurs… et Franck a vraiment bien célébré la signature de l’accord. Je me souviens notamment l’avoir vu chanter les pieds nus dans la neige, et il n’a pas ôté que ses chaussures (rires) ».
Au fil des saisons, le taux d’adhésion des joueurs et joueuses augmente, les combats pour les acquis sociaux des joueurs et joueuses s’enchainent, et l’AJPH devient un acteur incontournable des discussions. Quand Franck Leclerc fait le bilan de ces dernières années, il ne peut pourtant s’empêcher de déplorer la détérioration du dialogue social au sein du handball professionnel. « L’intérêt général que l’on a connu au début doit refaire surface. Des groupes de travail sont organisés avec l’ensemble des partenaires sociaux, des propositions sont réfléchies et des solutions concertées sont proposées. Au final, tout est souvent balayé d’un revers de main lors du Comité Directeur, là où les clubs sont majoritaires » regrette-t-il.
Une nouvelle opportunité
Au cours de la saison 2017-2018, une nouvelle opportunité se profile pour Franck : celle de revenir à 100% à la FNASS et « de mener le combat d’un peu plus haut, au plus proche du législateur ». La saison 2018-2019 sera donc celle du changement : Benoît Henry, ancien joueur professionnel, qui avait rejoint Franck quelques années auparavant, prendra la relève et fera face aux challenges du futur… sous le regard bienveillant de celui qui l’a formé au métier.
Et des challenges pour l’AJPH, il y en aura : à commencer par l’autonomie de la D1 féminine et la rédaction d’un accord collectif. « Donner des droits sociaux aux salariées sportives : ça serait novateur et unique dans le monde du sport féminin » précise Franck. « Cela peut paraître étonnant qu’il n’y en ait toujours pas, mais c’est malheureusement à l’image de notre société. Cependant, nous n’y arriverons pas tout seul ». Il avoue également rester vigilant à l’avenir de la Ligue des Champions: « je tenterai d’aider les joueurs pour éviter que l’on ait une Ligue des Champions à poule unique qui surchargerait le calendrier » ajoute t-il.
Durant toutes ces années, l’un des objectifs de Franck a été de faire comprendre aux joueurs et joueuses qu’ils avaient le droit de poser des questions, quelque soit leur statut. « On n’a jamais traité différemment le joueur international, la joueuse de 2ème division du joueur de centre de formation ». Aujourd’hui, ces joueurs et joueuses-là sont unanimes : disponible à toute heure pour confier ses doutes sur un contrat et demander conseils ou vrai partenaire de 3ème mi-temps, celui que l’on croisait souvent au détour d’un couloir de vestiaire manquera.
C’est aujourd’hui toute la famille du handball français qui lui souhaite une excellente continuation et le remercie pour ces belles années au service de l’AJPH !
Anne-Laure Michel
2 comments
IRAZU D
24 octobre 2018 at 19 h 14 min
Ils le connaissent bien à l’AJPH !!! 😉
Laurier
4 novembre 2018 at 23 h 39 min
Au top bravo 👍biz