En Octobre 2019, Melvine Deba lançait le projet engagé des podcast Handpapers*. « Handpapers c’est le podcast qui pense un handball féminin, qui traite les joueuses en tant que telles et non comme des joueurs au féminin. À savoir accepter et valoriser les spécificités des femmes dans le sport : le cycle menstruel, la possibilité de materner, les conditions salariales, le sport étude, entre autres. Mais aussi partager des philosophies de vies et des expériences pour s’inspirer les un.e.s les autres. » précise Melvine. Au gré des épisodes, l’ailière droit de Metz Handball a à coeur de raconter, expliquer, décortiquer, éduquer, informer, mais aussi divertir.
Plus d’un an plus tard et en parallèle de l’opération « Sport féminin toujours » conduit par le ministère chargé des Sports avec le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) , nous avons souhaité faire un point d’étape avec Melvine quant à sa perception de la médiatisation du sport féminin.
Bonjour Melvine 🙂 On dit souvent que si les médias ne parlent pas de sport féminin c’est parce que ce n’est pas ce qu’attendent les lecteurs/téléspectateurs. Es tu d’accord avec cette affirmation ? ou penses tu qu’à l’inverse avoir davantage de contenu sur le sport féminin, pourrait « éduquer » le public et lui donner envie de consommer davantage de contenu « sport féminin »?
Il y a certainement une part de vérité dans cette affirmation. Je ne peux personnellement, ni la démontrer ni affirmer son contraire de manière chiffrée, concrète.
Par contre, je sais que l’on vit dans une société où les meilleurs publicitaires savent vendre des produits invendables sur le plan éthique et responsabilité, alors même si le public n’attend rien du sport féminin (et cela reste encore à démontrer), je pense qu’un marketing volontariste peut aider à le rendre attractif.
Et en même temps, je sais que ce n’est pas si simple ! Quand on parle de la télévision par exemple, les heures où les audiences battent leur plein sont saturées de programmes qui ont fait leur preuve. Je pense donc qu’oser proposer des programmes différents demande à la fois de l’audace et bien évidemment des fonds (communication, publicité).
Enfin, je pense que l’on peut se tourner vers la chaîne Sport en France suite son ouverture récente : quelles audiences, quel type de public ? Quels moyens pour offrir ce spectacle sportif ?
Tu as lancé HandPapers en octobre 2019, le podcast je cite « qui pense un handball féminin, qui traite les joueuses en tant que telles et non comme des joueurs au féminin. » Est ce que tu penses que le problème actuel des médias est qu’il traite justement les joueuses comme des joueurs au féminin ?
Lorsque j’emploie la phrase « traiter les joueuses en tant que telles et non, comme des joueurs au féminin », je questionne la prise en charge profonde des problématiques lié au féminin dans le sport. Par exemple, la question des menstruations qui était très marginale car tabou, commence à avoir un droit de cité sans pour autant être abordée en profondeur ; par manque de connaissance (de moi la première. J’ai notamment découvert les 4 phases du cycle menstruel cette année grâce à Gaëlle Baldassari). Maintenant que l’on sait que les femmes ont leur règles tous les mois, qu’est-ce que l’on peut faire concrètement, au quotidien pour performer de manière optimale ? Il ne s’agit pas de nous mettre au repos une semaine par mois mais plutôt de maîtriser cette thématique, les changements hormonaux que le cycle menstruel implique dans la vie des femmes et optimiser les séances de travail. Il y a des personnes qui travaillent là-dessus, rédigent des thèses et j’ai hâte de vous les faire écouter sur le podcast ! 🙂
Et donc ici, je ne fais pas référence à la couverture médiatique mais à ce qui se joue de proche en proche dans le sport de haut niveau que je connais.
Et pour ce qui est de la couverture médiatique je pense que l’on aurait beaucoup à gagner à ne plus être traitées comme « des joueurs au féminin » synonyme pour moi de « joueurs en moins bien ». Car, je trouve cela dommage de comparer des performances qui ne se ressemblent pas. En athlétisme par exemple, j’ai une amie qui court le 800m. Pour prétendre au JO elle doit passer sous la barre des 2 min. Pour un homme il faut courir en 1min45. Il y a 15 secondes d’écart, 15 secondes, c’est 100m voire plus. Ce n’est donc pas le même effort. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les hommes et les femmes ne s’affrontent pas en compétition. Et pour moi, utiliser des arguments de vitesse, de force pour créer une hiérarchie de valeurs dans les performances femme/homme est un mauvais calcul.
Aussi il y a le problème des traitements différenciés : quand l’attention est plus tournée vers l’extra sportif comme la couleur du verni ou l’aspect physique de la sportive ça pose question…
Est-ce qu’en un an et demi de podcasts, au travers de tes expériences, rencontres, tu as pu noter des différences en termes de médiatisation du handball féminin (ou sport féminin plus largement) ?
J’observe des évolutions vraiment positives ! Comme les couvertures de l’Équipe sur les femmes de d’EDF pendant l’Euro ! La diffusion en clair de quelques rencontres comme, le France/Slovénie sur TMC. On voit qu’il y a de plus en plus de volontarisme de la part des chaînes et des médias en tout genre : RMC proposait aussi des commentaires de matchs en direct pendant cet Euro 2020 ! Sans compter sur la présence de Sport en France qui diffuse des rencontres du championnat de LBE ce qui permet un suivi plus régulier de notre activité – pas seulement ponctuel, lors de grandes compétitions internationales, car il ne faudrait pas que les efforts fournis pendant les mondiaux, euro fondent comme neige au soleil…
Quel a été et quel est l’accueil réservé à tes podcasts dans la sphére handball (joueuses, entraineurs, clubs) et au delà? Est ce que par exemple parler de cycle menstruel des joueuses et de l’impact sur leur performance, a pu faire réfléchir quelques staffs techniques ?
J’ai eu de bons retours par rapport à mes intentions pour le podcast et ça me remplit de joie ! Il y a des jeunes joueuses qui s’inspirent de joueuses plus expérimentées. Il y a mon préparateur physique avec lequel on a entamé des conversations sur les croisés ou le cycle menstruel. Il y a des joueuses de D2 qui ont mieux compris la décision fédérale suite à la suspension de leur championnat…Initialement ce podcast devait répondre à mes questionnements. Et je m’aperçois qu’il parle vraiment à d’autres ! Et j’imagine que c’est pour cela que les retours sont si beaux 🙂 En tous cas, j’espère réussir à planter des graines.
Avec la crise du Covid et les restrictions, la Ligue Féminine de Handball (LFH) et le diffuseur TV, ont autorisé et encouragé les clubs à diffuser leurs rencontres de Ligue Butagaz Énergie en direct sur leurs réseaux sociaux. Qu’en penses-tu? Avoir davantage de matchs accessibles en direct produit par les clubs même après le covid, te semblerait une des pistes d’amélioration pour le futur ?
C’est une magnifique marque de résilience et d’inventivité ! Je trouve ça top ! Cela peut compléter les diffusions télé, les articles de presse, les émissions radio sans pour autant devenir le canal principal de diffusion… car je pense que le principe de gratuité n’est pas rentable pour l’économie des club et du handball. Mais c’est une superbe alternative pour faire face au confinement, pour garder le lien avec le public qui peut commenter le match en direct !
D’après toi, quels sont les pistes d’amélioration en termes de médiatisation du handball féminin ? quel est le rôle, ou quel pourrait-être le rôle des joueuses ?
Je vais réaliser une série d’épisodes sur cette problématique. C’est un sujet si dense… On m’a par exemple, fait remarquer que lorsque je parle de médias, je focalise beaucoup mon attention sur la Télévision alors que tout ne s’y joue pas. La presse écrite sportive est un espace privilégié pour nous : L’Équipe, Les Sportives… La radio a aussi son mot à dire, les réseaux sociaux comme Instagram où, des athlètes gagnent parfois des compléments de revenus grâce des marques qui souhaitent toucher les personnes qui les suivent, sont aussi une piste de réflexion ; j’ai vraiment envie de développer tout ça, alors, je vous invité à suivre l’actualité sur Handpapers.
Pour ce qui est des joueuses : je pense que notre premier rôle est de performer. On l’a vu avec l’enchaînement de titres remportés par les Bleues au mondial 2017 puis à l’euro 2018 : elles ont été sollicitées de partout, on a pu profiter de matchs en clair pendant l’Euro 2020. Les titres créent de l’engouement de la part des chaînes, des marques, des entreprises…
On a aussi démontrer par le passé notre capacité à nous mobiliser et à taper du poing sur la table pour ce que l’on veut : lorsque beIN Sport a annoncé ne plus pouvoir diffuser le handball féminin, on s’est toutes mobilisées pour s’indigner sur les réseaux sociaux notamment. Et quelques jours plus tard on avait un autre diffuseur. Alors, je ne sais pas si c’est pour cette raison que Sport en France et la Ministre chargée des sports se sont aussi vite mobilisés mais, en tous cas, j’aime l’idée selon laquelle chacune d’entre nous peut faire sa part…
Propos recueillis par Anne-Laure Michel
Crédits photo : ©Lucas Deslanges
*Depuis 2020-2021, les podcasts HandPapers sont à retrouver 1 dimanche sur 2 à 11h mais aussi 1 mercredi sur 2 pour un crossover sur un sujet d’actualité avec des athlètes d’autres disciplines sur le site de l’AJPH, ongler « M’informer » mais aussi sur toutes les plateformes classiques de Podcast Spotify, Anchor, Google Podcast, Radio Public, Breaker et sur apple podcast en tapant : handpapers). Et désormais, une page instagram est aussi disponible !