Bruno Martini : « Les sportifs ont un savoir-être recherché par les startups »

2 décembre 20210

Lundi, Bruno Martini a été élu président de la Ligue Nationale de Handball (LNH). En parallèle, l’ancien gardien international s’est engagé auprès d’Olympact qui met en relation des startups en développement et sportif(ve)s de haut-niveau.

 

En janvier 2021, nous apprenions que tu quittais le PSG Handball et que tu rejoignais le club d’e-sport français Vitality en tant que manager général, peux-tu nous raconter cette transition ?

Au PSG Handball, j’avais fait le tour du poste et j’ai eu envie de me challenger, de voir si j’étais capable de faire autre chose. Il était temps de le faire, j’avais 50 ans. Je ne voulais pas devenir le vieux dirigeant dépassé que personne n’ose mettre dehors (rires).

J’ai été approché par un recruteur qui m’a présenté le projet de Vitality, une des équipes d’esport leader en Europe. Ils cherchaient un profil comme le mien afin d’apporter une culture de la performance dans le milieu du esport.

Comment s’est passée cette expérience ?

Ça a été un changement radical pour moi, je ne connaissais absolument rien à ce secteur. J’ai découvert un univers totalement différent. Il y a des communautés incroyables qui suivent les équipes professionnelles. Les joueurs sont de véritables ambassadeurs d’eux-mêmes, des institutions et des jeux. Les dirigeants de Vitality ont dans l’idée de faire appliquer les recettes du sport à l’esport. Ils souhaitent notamment faire intégrer aux joueurs professionnels ce que cela représente d’être performant et régulier. Concernant la régularité, c’est assez criant : ces joueurs ont souvent grandi hors cadre, ce sont fait tout seul, ils sont plus friables, ils ont moins de routine, de cadres qui pourraient les mettre à l’abri d’une potentielle irrégularité de niveau.

Il a donc fallu que je m’acculture. Mais c’est un milieu très ouvert, probablement plus ouvert que le sport professionnel à certains égards. Ils sont curieux d’apprendre des méthodes des autres tout en gardant leur propre culture. D’ailleurs, le sport professionnel pourrait aussi apprendre d’eux sur certains aspects.

C’est-à-dire ?

Par exemple, leur capacité à engager les fans, à faire vivre leurs communautés. A mon sens, le sport perd parfois un peu de vue ce qui fait l’essence même du spectacle sportif et esportif : cette capacité à partager avec les communautés. Dans le esport il y a un vrai sentiment d’appartenance, y a des ultras de vitality, des gens qui voyagent, traversent l’Europe. De plus, quand on voit les audiences un lundi soir sur twitch pour un match lambda, on aurait vraiment tort de les prendre de haut, c’est bluffant. Et je ne me parle même pas des gros tournois où l’audience se chiffre en millions de viewers.

Pourtant aujourd’hui tu n’es plus dans les rangs de Vitality, que s’est-il passé ?

Effectivement, je n’y suis plus mais j’ai gardé de très bonnes relations avec tout le monde.

Je me suis rendu compte qu’il fallait plusieurs années pour faire changer les mentalités, travailler sur la formation des coachs, créer un référentiel pour les joueurs. C’était un travail sur au moins 5 ans… et je me suis demandé si j’étais capable de me projeter sur cette période. Pour autant j’y serai resté si je n’avais pas été sollicité pour un autre projet.

Quel est ce nouveau projet ?

J’ai été approché par Romain Vidal qui vient du secteur des fonds d’investissement. Il a co-fondé « Olympact » et m’a présenté leur projet. L’idée c’était de créer un fonds d’investissement marqué par les valeurs du sport. Nous récupérons des fonds venant d’investisseurs privés et nous les réinjectons dans des boîtes en développement. Mais pas n’importe quelle entreprise. Nous souhaitons investir auprès de startups qui se développent et qui ont une mission RSE forte (Responsable Sociétale des Entreprises, ndlr). Et puis un des prérequis également : on travaille avec des boîtes qui ont la vision « people first », c’est-à-dire qui créent des environnements de travail bienveillants pour les collaborateurs et non des usines à burn-out.

Tu nous as contacté il y a quelques semaines pour une mise en contact avec d’anciens sportifs et sportives de haut niveau, à quel niveau entrent-ils en jeu ?

Ces startups se développent et embauchent. Notre mission c’est de leur présenter un pool de ressources humaines qui pourraient convenir à ce système. Pendant leur carrière, les sportifs ont développé pleins de qualités, de compétences qui sont en corrélation avec les valeurs des startups. Certaines startups souhaitent diversifier leur source d’embauche : généralement les profils dans les startups sont les étudiants d’école de commerce. Les sportifs ont peut-être moins d’expériences ou de formation mais ils ont des expériences de vie différentes. De plus en plus de recruteurs cherchent davantage du « savoir être » que du « savoir-faire ». Le savoir-faire ça s’apprend, alors que le savoir être c’est quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas. Les sportifs ont développé une capacité à s’adapter, à travailler en équipe, à répondre à des objectifs. C’est ce que les startups recherchent.

Ma mission c’est donc de créer ce pool de talents anciens sportifs, de les identifier, de cartographier leurs compétences, leurs appétences. On fait pareil avec les startups et ensuite on fait de la mise en relation.

D’après toi pourquoi les startups peuvent être un espace d’épanouissement pour d’anciens sportifs de haut niveau ?

Une startup c’est dynamique, c’est jeune, c’est challengeant. Il y a du sens à ce que l’on fait et on peut avancer très vite. C’est un milieu plus agile que les grandes entreprises, un milieu en constante évolution. À l’instar d’une carrière sportive quand on a des entrainements qui ne se ressemblent pas, des matchs, différents clubs avec différentes histoires : ça bouge tout le temps. Le monde des startups c’est pareil.

Par ailleurs, les startups sont prêtes à former les sportifs et sportives, à les accompagner pour qu’ils s’épanouissent : ils veulent des gens sur lesquels compter et qui soient fiers de travailler dans ce milieu. Les former c’est aussi un moyen d’embarquer un collaborateur de façon optimale : en général, tout joueur garde un lien particulier avec son club formateur. C’est pareil dans le milieu de l’entreprise.

Et concernant la rémunération, le monde des startups est un monde dans lequel tout va très vite. Si on est bon, si on est investi, les responsabilités suivront et la rémunération aussi. Il faut être conscient qu’un sportif généralement à la sortie de sa carrière ne gagnera jamais autant que ce qu’il a gagné avant, surtout pour les sports collectifs. Il faut accepter de redevenir junior, d’acquérir de l’expérience. Mais si on s’en donne les moyens, les startups peuvent être un bon moyen de voir son salaire évoluer rapidement.

Quels secteurs et types de postes cela concerne ?

Il n’y a pas vraiment de secteurs identifiés. Aujourd’hui, il y a des postes recherchés par les boites et où un sportif pourrait être un profil intéressant : business développer, les postes liés à la captation des talents (talent acquisition), product manager, chef de projet : quelqu’un qui est capable de faire parler des équipes entre elles, de mener des projets. Il y a un vrai parallèle avec le rôle de capitaine ici.

Le fond actuellement a deux mois : on finalise la mise en place d’un process pour ne pas être déceptif dans un sens comme un autre. L’objectif est d’investir dans une première boite avant la fin d’année civile, ensuite pour 2022 on a déjà des discussions avec d’autres startups. Les postes et secteurs seront donc affinés dans les semaines à venir.

Quelle formation faut-il avoir ?

Aucune (rires). Les sportifs ont fait pleins de choses sans le savoir, ils ont fait du commerce par exemple. Notamment en sport individuel ils ont l’habitude de démarcher des partenaires, démarcher un club. Ils savent atteindre des objectifs, collaborer, planifier une progression, se donner des objectifs personnels.

A l’aide de multiples entretiens, on identifie ces compétences.

Comment se passe concrètement l’accompagnement et la mise en relation du sportif avec les startups ?

Ils sont suivis et accompagnés. On reçoit le sportif, il passe des entretiens, des tests de personnalité, on les aide à se préparer pour l’entretien, on les met dans de bonnes conditions, on les met en contact avec l’entreprise, mais ensuite c’est à eux de faire leurs preuves : comme sur un terrain ! On les entraine mais c’est à eux de jouer ensuite.

Tu aurais un dernier message à faire passer aux anciens sportifs qui nous lisent ?

Déjà il faut qu’ils se rendent compte des qualités qu’ils ont développé tout au long de leur carrière. Il ne faut pas avoir peur et se dire « je n’y connais rien, c’est de la tech ». Un peu sportif peut s’adapter à énormément d’endroits.

Il faut aussi considérer qu’une mission dans un travail c’est une compétition, c’est un objectif, c’est un match. On se prépare, on s’entraîne, et nos qualités peuvent faire basculer les choses. Si ça ne fonctionne pas ce n’est pas grave, il faut être résilient, ouvert d’esprit et repartir.

Le sportif devra intégrer les codes de l’entreprise : on ne parle pas à ses collègues comme on parle à ses coéquipiers. Mais si le joueur est éveillé, de très belles carrières peuvent s’ouvrir à lui.

Après il y a une chose dont il faut être conscient : Les émotions que nous vivons en carrière on ne les retrouve pas. Ce n’est pas le même niveau d’émotion mais ce n’est pas grave. Ces années de sportifs ce sont des anomalies dans une vie normale. En revanche on peut prendre beaucoup de plaisir dans une boîte, c’est gratifiant de voir ce que l’on peut accomplir.

Pour finir, n’oublions pas que nous sommes entre deux Jeux Olympiques et Paralympiques avec en point d’orgue les JO 2024 en France. Les sportifs vont être valorisés. C’est maintenant qu’il faut faire changer la vision et les mentalités sur les sportifs. J’espère que dans 3 ans nous aurons des exemples d’anciens sportifs qui sont passés par des startups, qui ont développé leur propre entreprise, qui embaucheront eux même à leur tour des anciens sportifs. Ça peut être de belles histoires à raconter.

Propos recueillis par Anne-Laure Michel

Crédits photo : PSG Handball

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